Entretien avec Ibrahima Thiam de « Un Autre Avenir »

« Dites-nous, monsieur le président »

28 - Février - 2018
Ibrahima Thiam, président d'Un Autre Avenir
Ibrahima Thiam, président d'Un Autre Avenir

Quatre mois après son lancement officiel à Paris et quelques semaines après sa présentation en Italie le mouvement Autre Avenir poursuit avec succès son implantation à Dakar et dans les différents départements du Sénégal de même que dans la diaspora européenne. Avec son président Ibrahima Thiam la rédaction du site inaugure aujourd’hui une série d’entretiens au cours desquels celui-ci fera le point à un moment également où le site internet connaît un afflux très important de visiteurs témoignant de l’intérêt croissant pour ce jeune mouvement dans lequel la population sénégalaise veut voir un renouveau de la vie politique et une alternative au pouvoir en place.

En créant le mouvement « Autre avenir » quel était votre objectif ?

Nous sommes partis d’un constat très simple. Beaucoup d’entre nous sommes venus nous installer en Europe car nous n’avions pas de perspective d’avenir au pays et nous avons réalisé que durant toutes ces années les choses n’avaient pas changé sur place, la situation n’avait pas évolué. Or le Sénégal regorge de ressources humaines et naturelles importantes mais les dirigeants successifs n’ont pas su mettre en valeur et faire fructifier tout ce potentiel.

La nature ayant horreur du vide nous avons estimé que le moment était venu de réagir et nous avons décidé de combler ce vide en rendant au Sénégal ce qu’il nous a donné c’est-à-dire en lui apportant notre savoir acquis en France, en Italie, en Espagne, en Belgique et ailleurs. Bien évidemment tout n’est pas transposable, loin de là, mais peut en revanche nous inspirer pour mettre le Sénégal sur la voie du renouveau, lui communiquer un nouveau souffle. C’est pourquoi nous avons appelé notre mouvement, qui n’est pas un énième parti politique, Autre avenir.

Notre ambition est de tourner la page à une trop long période d’immobilisme, de redonner espoir à notre jeunesse notamment en créant des emplois et cela suppose de favoriser l’émergence d’une nouvelle génération d’entrepreneurs à qui l’on doit faire confiance, de redonner du pouvoir d’achat par une meilleure distribution des richesses et d’élever progressivement le niveau de vie des personnes les plus modestes.

Est-ce à dire que les politiques de ces dernières décennies ont échoué ?

On peut dire cela en effet car même si certains dirigeants étaient de bonne foi, ont fait des efforts, il n’y a pas eu de grand bond en avant pour améliorer la qualité de vie des sénégalais et mettre le pays sur les rails du 21e siècle. Les dirigeants successifs ont manqué d’ambition, si ce n’est pour eux-mêmes, du moins pour le pays car en effet trop souvent ils l’ont sacrifié pour leur intérêt personnel.

Le Sénégal a besoin de renouveler ses élites en même temps que ses moeurs politiques, d’accueillir une nouvelle génération de responsables épris de justice et soucieux d’impulser une volonté économique qui permette un véritable développement de notre pays et à celui-ci de s’émanciper de l’aide étrangère qu’elle provienne de l’Union européenne ou de la France sans pour autant renier nos liens d’amitiés avec ces régions du monde. Or aujourd’hui qu’est-ce qu’on voit ? Un président Macky Sall qui passe l’essentiel de son temps à inaugurer des axes routiers même si je ne nie pas l’intérêt en matière de transport et d’aménagement du territoire.

Couper les rubans et procéder à des allocutions semblent davantage répondre a des exigences électoralistes, voire clientélistes, qu’à de véritables objectifs économiques. Ce n’est pas ce genre d’initiatives qui booste une nation. Redonner un grand dessein économique qui seul peut répondre à des aspirations sociales, voilà où est l’essentiel.

On est tenté de poser une question, « Sénégal qu’as-tu fait de ton indépendance ? »

Contrairement aux chefs d’Etats qui se sont succédés notre engagement ne sera pas fait de promesses électorales dont on sait ce qu’elles valent une fois que les individus sont arrivés au pouvoir. Celles-ci, c’est bien connu, n’engagent seulement que ceux qui veulent y croire et non leurs auteurs. Au Sénégal, comme ailleurs, ces dernières décennies ont été le fait d’une accumulation de promesses non tenues.

Pour ma part je veux être à l’écoute de mes compatriotes vivant sur place au pays, entendre leurs revendications comme leurs propositions. Mon récent séjour à la fin de l’année durant deux semaines pendant lesquelles j’ai sillonné différentes régions, en dehors même de Dakar, a été de ce point de vue très instructif.

Avec mes amis nous avons entamé depuis des mois une profonde réflexion concernant des grands problèmes de l’heure comme l’éducation et la formation, la création d’entreprises notamment dans le domaine du numérique avec le développement des start-ups qui demain permettront aux endroits les plus reculés l’accès à une médecine connectée, la télémédecine.

Il y a également l’énergie durable, le traitement des déchets afin de réduire les immondices dans nos rues et les décharges comme celle de Meubeus qui représente à elle seule une véritable bombe humanitaire et environnementale aux portes de Dakar.

Autre dossier très important, l’agriculture car nous avons à faire face à un véritable défi pour nourrir la population en même temps que nous devons modifier certaines habitudes alimentaires. L’amélioration de la vie des femmes en les responsabilisant de plus en plus dans la société est également une de nos préoccupations essentielles.

Nous réfléchissons aussi aux problèmes d’urbanisation et par voie de conséquences à la pollution qui fait que Dakar, bien qu’étant une presqu’île mais sans ceinture verte, suffoque. Pourra-t-on longtemps encore supporter toutes ces vieilles carcasses de voitures dont les fumées chargées de micro particules émanant des pots d’échappement nous empoisonnent.

Il existe là un véritable problème de santé publique même s’il n’existe pas encore de données chiffrées tangibles en lien avec l’augmentation de certaines pathologies, je pense à certains cas de cancers. Selon l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) en 2020, donc demain, le monde comptera 20 millions de cas de cancer, dont 75% seront issus des pays en développement, notamment en Afrique.

Chez nous, comme dans d’autres pays voisins nous allons aussi devoir faire face dans les vingt ans à venir à un boom démographique sans précédent qui aura des enjeux sociaux et environnementaux de taille. Nous avons le devoir, et c’est ce à quoi nous nous employons, de penser dès maintenant à de nouveaux plans d’urbanisation et de nouveaux pôles urbains en y intégrant des concepts de « smart city » et de « sensitive city ». Après il sera trop tard.

Les conséquences climatiques liées au réchauffement de la planète sont également un problème majeur dont on mesure les conséquences en particulier à Saint-Louis-du-Sénégal auquel s’ajoute l’érosion côtière affectant des stations balnéaires prisées des touristes comme Sally. Comme vous le voyez on est loin d’un programme électoral habituel, souvent fallacieux, démagogique. Nous privilégions en ce qui nous concerne une réflexion importante sur tous ces sujets qui concernent l’avenir du Sénégal et de sa population à partir d’un constat critique et en émettant des propositions visant à améliorer le quotidien de nos compatriotes.

Comme partout ailleurs notre pays a besoin de réformes structurelles et nous préparons aujourd’hui les outils nécessaires à la transformation de demain. Ce n’est qu’en agissant ainsi que nous fixerons notre jeunesse sur le sol sénégalais, la dissuadant de se lancer dans une entreprise périlleuse d’exil vers les pays européens qui à ses yeux représente, à tort, une sorte d’eldorado. Nos jeunes aiment leur pays et nous devons donner les moyens nécessaires à la jeune génération de vivre décemment dans les villes et les villages et d’envisager un avenir décent sur place.

Il y a quelque chose de terrible à penser que le Sénégal depuis 1960 n’a pas su profiter de son indépendance contrairement à d’autres pays qui entre-temps ont pris leur envol, alors même qu’aux yeux du monde nous apparaissons comme un modèle pour tout le continent. Or nous disposons des richesses nécessaires pour réussir, qu’il s’agisse de matière grise comme de matières premières, y compris le pétrole. C’est cette fatalité à laquelle je veux mettre un terme.

J’en profite pour lancer ici un appel aux universitaires sénégalais, exerçant pour certains des professions prestigieuses dans l’enseignement, la recherche, les instances internationales, la finance, etc., où qu’ils se trouvent, pour qu’ils nous rejoignent et apportent au Sénégal leur expérience et leurs talents. Notre nation à besoin de tous ses fils pour réussir son entrée dans le club des grandes nations du 21e siècle. Qu’ils ne se demandent pas ce que le pays peut leur apporter mais ce que, eux, peuvent donner au Sénégal.

Que dire à l’issue de ce premier entretien avec le président d’un Autre Avenir ? Qu’Ibrahima Thiam nous livre les pistes actuellement explorées par son mouvement afin de remettre le Sénégal debout et faire en sorte que chaque franc CFA investi rapporte à la collectivité et n’aille plus se perdre dans des puits sans fond aussi nombreux que mystérieux.

Il témoigne de la lucidité de ce jeune dirigeant décidé à s’investir totalement dans sa démarche face à l’urgence et à la complexité de certains problèmes que doit affronter son pays. Il révèle aussi une volonté incarnée par ce slogan « Un nouveau souffle » qui demain traversera le pays d’Est en Ouest et du Nord au Sud et qui balaiera sur son passage les résistances administratives, les vieilles habitudes comme les tabous.

Il affirme clairement son intention de tourner la page de ces dernières décennies où trop souvent le Sénégal a regardé les trains passer sans que ceux-ci ne s’arrêtent en gare. Puiser dans la force de la jeunesse sénégalaise, solliciter les nombreux intellectuels de haut niveau afin qu’ils se mettent au service de leur pays, exploiter intelligemment les ressources naturelles, mettre un frein à la corruption, changer radicalement les mœurs politiques seront autant de sujets qui seront développés au cours de nos prochains entretiens car nul doute qu’en nous présentant sa vision de l’avenir pour ses compatriotes Ibrahima Thiam n’a pas fini de nous surprendre.

La rédaction d'Un Autre Avenir

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