Ces jours-ci une polémique « politicienne » agite le microcosme politique sénégalais comme si le pays n’avait pas d’autres problèmes plus importants et plus urgents à régler. Cela pourrait même paraître incongru, surréaliste, si le président Macky Sall et son ministre de la justice, Ismaël Madior Fall n’avaient eux-mêmes jugé utile de faire entendre leur voix. Rappelons que la question est la suivante : l’actuel chef de l’Etat peut-il ou non, constitutionnellement, être candidat en 2024 à un troisième mandat qui en réalité ne serait que le deuxième ? Rappelons que Macky Sall a été élu en 2012 dans le cadre d’un septennat, que depuis la constitution a été modifiée par une loi référendaire et que l’article 27 précise que « le chef de l’Etat est élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ».
Faut-il voir là une manœuvre présidentielle à seule fin d’observer, de tester les réactions de l’opinion publique ? C’est possible auquel cas il est pour le moins imprudent de préjuger d’un résultat quinze mois avant l’échéance électorale. C’est faire injure aux électeurs, autant leur dire qu’il est inutile de se déplacer et d’aller voter la réélection de Macky Sall étant d’ores et déjà acquise. Quelle idée se fait-on de la démocratie et quel mépris pour le peuple. On remarquera d’ailleurs que Macky Sall a récemment déclaré « Je ne dépasserai pas deux mandats » employant intentionnellement le futur et non le conditionnel, quelle impudence ! On croirait entendre le croupier d’un casino s’exclamant : « Les jeux sont faits ! »
A croire certains juristes patentés Macky Sall serait fondé à se représenter en 2024 (dans l’hypothèse d’une victoire en 2019), le pays étant passé entre temps du septennat au quinquennat et le premier mandat n’étant pas pris en compte. Quel tripatouillage ! L’aspiration à une « présidence à vie » reste décidemment vive chez beaucoup de dirigeants africains, du Congo au Burkina Faso en passant par le Burundi et la Centrafrique. Aujourd’hui encore on évoque le spectre d’un troisième mandat en Mauritanie et en Guinée, et demain qui d’autre, le Sénégal peut-être ? Les sénégalais ne l’accepteront pas car notre pays est l’héritier d’une longue tradition démocratique contrairement à certains de nos pays voisins. Le pouvoir fait tourner les têtes a tel point que nombreux sont les chefs d’Etat qui oublient qu’ils ne sont que dépositaires temporairement du pouvoir, locataires et non pas propriétaires de leur fonction. De tels agissements bafouent la démocratie en confisquant au profit d’un homme et de son clan les leviers de commande ad vitam aeternam au mépris de la volonté des peuples. A l’avenir il conviendra d’ailleurs que les dirigeants en place respectent le calendrier électoral et ne le modifie pas en fonction de leur intérêt personnel. L’époque n’est plus aux petits arrangements entre amis et ce genre de dérive institutionnelle n’est plus admise.
En fait la seule hypothèse envisageable d’une candidature de Macky Sall en 2024 est que celui-ci soit battu en 2019 le mettant ainsi en mesure de tenter sa chance à nouveau quelques années plus tard. Des constitutionnalistes en s’emparant de cette question sont hors sujet car il s’agit d’un débat éthique et moral et non pas juridique. Et plutôt que de se soucier de leur propre sort les responsables politiques seraient mieux avisés de se préoccuper de l’avenir du Sénégal et des sénégalais. L’urgence est ailleurs, en particulier dans une meilleure gestion de la vie quotidienne de nos compatriotes et du développement du pays. Pour le reste, il est plus que temps d’en finir avec ces pratiques d’un autre âge.
Ibrahima Thiam,
Président d'UN AUTRE AVENIR