Ce qui s’est passé au Sénégal voici quelques temps est sans précédent dans notre histoire depuis l’indépendance. Des émeutes, des affrontements violents entre une jeunesse révoltée et des policiers équipés de boucliers et de matraques agissant en défenseurs d’un régime contesté. Le vôtre, monsieur le Président.
Comment a-t-on pu en arriver là ? A une telle extrémité, on parle de plus d’une dizaine de morts. Comment avez-vous permis une telle folie ? Vous ne pouviez ignorer que l’arrestation d'Ousmane Sonko, au motif de troubles à l’ordre public, susciterait une vive réaction. Et vous avez laissé faire. Pire vous avez provoqué cette situation.
Je ne partage pas, loin s’en faut, les positions, quelques fois extrémistes, les appels à la révolution du président du PASTEF. Je ne sais pas, s’il a commis le viol et les menaces de mort dont on l’accuse. Ce que je sais c’est que notre pays est une grande démocratie, que vous avez abimée, où la présomption d’innocence doit profiter à chaque justiciable. Ce que je sais c’est qu’il ne doit pas y avoir de justice d’exception au prétexte que l’intéressé est un de vos principaux opposants, et qu’il doit être traité par les juges comme n’importe lequel d’entre nous.
Le Sénégal n’est pas la Russie de Poutine, où au terme d’un simulacre de procès des magistrats, aux ordres, ont emprisonné le principal opposant Alexeï Navalny comme un vulgaire malfaiteur. Le Sénégal n’est pas non plus les Philippines, où un régime militaire bafoue quotidiennement le droit et la liberté d’expression du peuple. Le Sénégal n’est rien de tout cela. Le Sénégal est connu pour être un Etat de droit, apprécié pour sa stabilité. Or, en l’espace de quelques jours, vous avez noirci son image, et assombri un peu plus l’horizon des jeunes sénégalais.
Le pays a vu s’affronter deux Égos, donnant le spectacle triste et affligeant d’un combat de coqs. Ce n’est pas digne de la fonction de chef d’Etat. Cette arrestation de Sonko, qui a été remis quelques jours plus tard en liberté conditionnelle, est vue par beaucoup, au Sénégal, comme à l’étranger, comme un traquenard tendu par votre régime à celui qui a terminé troisième lors des élections présidentielles de 2019. Il a rappelé de triste mémoire les « mésaventures » survenues à Karim Wade et à Khalifa Sall, empêchés pour des motifs judiciaires de concourir à la magistrature suprême. La ficelle est un peu grosse.
Cela fait maintenant dix ans que vous êtes au pouvoir, monsieur le Président, et ce mandat risque d’être le mandat de trop. Certains pensent que ce qui vient de se passer dans les rues de Dakar sent la fin de règne. Or on vous prête, à tort ou à raison, l’intention de vous représenter une nouvelle fois, quitte pour cela à prendre des libertés avec la constitution.
Vous devez lever toute équivoque, car c’est le moyen de ramener le calme dans les esprits, et de rétablir le peu de confiance qu’ont nos compatriotes dans leur classe politique. Vous devez annoncer clairement, et le plus tôt possible, que vous n’entendez pas solliciter à nouveau les suffrages de nos compatriotes. Le Sénégal ne peut pas ajouter à la déplorable image internationale de ce qui a été vécu comme un soulèvement populaire l’image d’un président qui veut se maintenir au pouvoir coûte que coûte. Trop de pays africains ont déjà recouru à cet artifice, indigne d’une authentique démocratie, pour que notre pays ajoute son nom au bas de la liste.
Ne succombez pas aux démons de l’autoritarisme et du népotisme.
Vous pouvez encore sauver votre honneur et celui du pays en prenant une décision, peut-être difficile, mais courageuse et indispensable à l’unité du Sénégal. Je n’appelle pas, comme d’autres, à la démission de votre ministre de l’Intérieur, je vous invite à parler, mieux, je vous exhorte à parler afin de clarifier la situation et sortir de l’ambiguïté. Et qu’ainsi votre mandat ne soit pas attaché du sceau de l’indignité.
Ibrahima THIAM,
Présidente du mouvement Un Autre Avenir